Une enfance des plus ordinaires. Une mère au foyer. Comme tant de femmes de Séoul. Un père passant ses journées au bureau, ne rentrant que tard le soir. Peu enclin à partager un moment de tendresse et d'affection avec ses deux enfants. Ou alors quelques fois avec l’aîné, Hyo Sin. Ce beau garçon dont il était si fier.
Nombreux sont les cadets jaloux du plus grand. Se Hee ne faisait pas exception à la règle. Une mère aimante et partageant équitablement l'amour qu'elle avait dans son cœur. Mais un père froid et distant avec elle, dont le regard ne s’arrêtait sur sa personne que pour critiquer. Faisant le reste du temps comme si elle n'existait pas. Compliments, regards admiratifs, moments complices n'étaient destinés qu'à son frère. Fille invisible.
Quand le maître de la maison prenait une décision, elle était suivie par l'ensemble de ses habitants. Volontairement ou non, mais la manière de penser de cette autorité supérieure influait à court ou long terme sur celle des autres occupants de la maison. Il avait donc était décidé que Hyo Sin était promis a un brillant avenir, qu'il était la fierté de la famille Hwang.
Encore une chose que vous n'ignorez certainement pas, tout enfant a besoin d'affection. Se Hee, s'efforça durant une bonne partie de son enfance, pour entrer dans le cœur de son père, d'obtenir les meilleurs résultats à l'école. Elle travaillait chaque jour à répéter sur son violon les morceaux précédemment appris, on l'avait en effet poussée à pratiquer un instrument, car c'était quelque chose qui faisait bien.
Il faut préciser que toute la famille Hwang ne jurait que par les apparences, que ce soit les grands parents, les oncles, les tantes et les cousins éloignés. Ils se basaient sur un mode de vie qu'ils considéraient comme idéal et s'y tenaient. Ceux qui s'écartaient du droit chemin était violemment critiqués et perdaient tout droit d'être invités aux réunions de famille.
Néanmoins Se Hee, ne détestait pas jouer de son violon, elle le considérait plutôt comme un ami qui l’apaisait et partageait ses sentiments en répondant de ses longues notes aux couleurs de son cœur. Ce qu'elle détestait c'était cette obligation d'être parfaite et irréprochable, bien habillée, bien coiffée, bonne élève, bonne musicienne, mais toujours derrière son frère.
Cette image d'une famille coréenne idéale éclata le jour de ses quinze ans, quand elle surprit son père avec une autre femme. Jusqu'à là, si elle n'avait pas eu le sentiment de monter en grade dans le cœur de son père, elle l'aimait cependant de tout son amour de petite fille et l'admirait. Son père avait une liaison. Ce comportement était à l'opposé des manières qu'il lui forçait d'adopter depuis sa naissance. Et cette vison agit comme l'effet d'une bombe, un bouton qu'il suffisait d’enclencher pour qu'elle quitte ses habits de fille irréprochable. Après tout elle n'avait gardé cette attitude pendant de longues années que pour gagner son estime. Mais y avait-il un sens à chercher à gagner le respect de quelqu'un que l'on n'estimait plus et qu'on ne considérait plus désormais que comme une façade, mentant à tout le monde ?
Elle cessa donc tout effort, commença à adopter cette attitude je-m'en-foutiste qu'on lui connaît aujourd'hui. N'agissant plus que comme elle le souhaitait. Quelques bagarres, des accrochages avec ses professeurs. Faisant le mur le soir, fumant quelques cigarettes, juste assez pour en garder l'odeur sur ses vêtements et énerver son père.
Scandale évidemment dans la famille. C'était une bonne à rien, on l'avait toujours su. Fille indigne qui remerciait ainsi des années à la nourrir et à s'occuper d'elle. Rien d'étonnant de la part de son père. Mais elle souriait insolemment des reproches qu'il lui adressait. Son frère ne lui accordait que des regards consternés, ne gaspillant pas sa salive pour la réprimander. Seuls les yeux tristes de sa mère arrivaient à la peiner. Mais elle se disait que si elle lui révélait le pourquoi de son attitude, celle-ci ne s'en remettrait jamais ou ne la croirait pas. C'était le genre de femme qui idolâtrait son mari et n'avait eu d'autre grand amour que lui.
Néanmoins son père ne pouvait la chasser, et nul autre membre de la famille n'aurait accepté de s’encombrer d'elle. Ils vécurent donc dans une indifférence des plus totales, pire encore qu'auparavant. Ils partageaient le même toit mais se comportaient en parfaits étrangers.
Peu avant ses dix-huit ans un scandale dont elle n'était pas responsable éclata. Il neigeait cette nuit là, des flocons tombaient en un rythme parfaitement orchestré, qui lui faisait penser à un ballet. Elle jouait du violon dans sa chambre. Accompagnant ses compagnons blancs du ciel de sa musique. L'heure était tardive, assez tardive pour qu'un frisson d'angoisse la traverse quand elle entendit sonner à la porte. Personne ne rendait visite aussi tard à moins qu'il ne se soit passer quelque chose de grave. Elle se glissa dans le couloir, les pieds nus et tendit l'oreille tandis que son père parlait au seuil de la porte avec deux policiers. Elle pouvait également entendre les sanglots de sa mère qui résonnait dans la maison.
Qui aurait pu prévoir que se serait Hyo Sin, l'enfant prodige et non pas elle qui provoquerait le plus gros scandale de la famille ? Il possédait des pouvoirs magiques. Monstre murmura-t-on dans toute la famille pendant des mois avant de clore le sujet en faisant comme s'il n'avait jamais exister.
Contre l'interdiction de son père, Se Hee, lui rendit visite en prison. Ils n'avaient vraiment jamais été proches. Curiosité ou affection malgré tout ? Elle ne savait pas vraiment. Mais lui il comprit en la voyant la véritable raison de sa visite. C'était vrai qu'il était intelligent. Mais pas aussi discret qu'elle puisqu'il n'avait su cacher les pouvoirs qu'il commençait à développer contrairement à elle. Aucun des deux n'aborda le sujet au parloir, se balançant de futiles banalités. Non sans savoir qu'ils étaient sur écoute. Il réussit à lui glisser un papier dans la main avant qu'elle ne parte. L'adresse d'une école pour les gens comme eux. Là où il serait allé s'il ne s'était pas fait prendre.